lundi 2 janvier 2012

INTERVIEW

  
M'bra Richard, chercheur au centre Suisse de recherche scientifique en Côte d'Ivoire


 Pour sa première publication  de 2012,  greenobjectif se livre au jeu du question-réponse, avec pour invité  Monsieur M’bra Richard ; Chercheur au Centre Suisse de Recherche Scientifique en Côte D’Ivoire. Son champ d’exploration, les changements climatiques.   C’est lors d’un forum sur la question du climat dans la capitale économique ivoirienne Abidjan, que nous avons rencontré  ce chercheur à l’allure taciturne et au verbe sûr.  Dans cette entrevue, il parle sans détour  de la Côte d’Ivoire face aux changements climatiques .

MOMO : Monsieur M’Bra Richard, bonjour et merci pour cette entrevue. La première question que je suis tenté de vous poser, c’est pourquoi les changements climatiques comme thème de recherches ?
 M’Bra Richard :  Merci  Momo. Il faut le dire en toute franchise, je n’ai pas fait le choix ; j’ai sauté sur l’opportunité qui m’a été offerte. En effet, après la Maîtrise en sciences et gestion de l’environnement et un DESS en ressources naturelles et environnement, j’ai eu l’envi de faire de la recherche plutôt que de travailler pour une boîte. Evidemment, le thème devait porter sur l’un des domaines de l’environnement mais je n’étais pas figé. Je pouvais étudier la chimie environnementale, l’assainissement ou toute autre chose. Et un jour, j’ai vu un avis de recrutement sur le site du Centre Suisse de Recherche sur les changements climatiques dans un large programme dénommé Ecohealth. J’ai été recruté après un test très serré et bonjour l’aventure avec les changements climatiques.

Pour le citoyen ordinaire, que doit-il entendre par changements climatiques ? 
 Pour simplifier, je dirai que c’est la variation de l’état du climat que l’on peut déceler par des modifications de ses propriétés et qui persiste pendant des décennies.

Depuis quelle année, ce phénomène climatique est-il vraiment perceptible en cote d’ivoire ?
Les effets des changements climatiques se sont accentués depuis les années 90 dans certaines régions de l’Afrique de l’Ouest dont la Côte d’Ivoire.  

Quelles sont les observations majeures illustrant cette nouvelle ère climatique en Côte d’Ivoire, et quelles sont les régions les plus exposées ?
On peut citer entre autre, les phénomènes extrêmes qu’a connus le pays ces dernières années. Notamment les inondations à Abidjan ces dernières années, ayant occasionnées la destruction de plusieurs habitats et des pertes en vies humaines. La partie nord du pays a connu une forte baisse de la pluviométrie ces dernières années. L’on a enregistré un tarissement des sources d'approvisionnement en eau potable (barrage) dans certaines villes comme celle de Korhogo en 2005, affectant près de 200.000 personnes (UN, 2007). Selon les Nations Unies, cette même région du pays a aussi connu subitement, depuis 2006 de nouveaux épisodes d'inondations survenues dans les villes de Korhogo, Bouna, Ferkessédougou, M’bengué, Tengrela et Odienné faisant plus d'une dizaine de morts et de nombreux dégâts matériels. Il y a eu aussi la montée de la mer en 2011 au niveau des côtes ivoiriennes, notamment à Grand-Bassam. 

Les causes de ce changement  sont, on l’imagine aussi bien locales que planétaires ?
Oui, mais beaucoup plus planétaire.

La cote d’ivoire avec son modèle d’économie basé sur l’agriculture, souffrira t-elle économiquement de cette zizanie du temps ? Quelles sont les conséquences globales de cette ère climatique sur la cote d’ivoire ?
Les effets sont et seront plus perceptibles dans le monde agricole (milieu rural). En effet, les paysans ne maîtrisent plus les rythmes saisonniers qu’ils suivaient pour planifier leurs activités. J’ai rencontré un paysan dans le V Baoulé ( au centre de la Côte d’Ivoire) qui me contait qu’une année, il a pris le risque de faire ses buttes d’igname dès les premières pluies de Mars et après il y a eu une succession de jours pluvieux. Donc, il a été le premier producteur d’igname du village cette année là. L’année suivante, il a pris le même risque, suivi par d’autres villageois mais malheureusement, les prochaines pluies qui ont suivies les premières pluies de Mars sont tombées en Juin. Les morceaux d’ignames enfouies dans le sol ont séché. Il a été le mauvais producteur de l’année.
De manière générale, cette économie basée sur l’agriculture a des répercutions sur l’environnement du pays. La forêt ivoirienne a diminué considérablement au bout de quelques années seulement. Obligatoirement, la productivité agricole sera en baisse et donc, oui, le pays souffrira économiquement de la zizanie du temps.
Aussi, à l’instar des autres capitales de pays africains, l’urbanisation et le surpeuplement de la ville d’Abidjan empêchent les infiltrations d’eau. Ce qui provoque des inondations avec ses impacts matériels et humains.

Comment réagit alors l’état ivoirien à tout cela ? Existe-t-il, des structures étatiques qui travaillent contre la dégradation du climat ?
Oui, les structures existent. D’abord pour la protection et la conservation des parcs et réserves, ensuite pour la gestion de l’environnement. et même il existe des structures consacrées à la question des changements climatiques. Le problème, comme d’habitude, c’est l’application des textes ou de la réglementation ou encore le manque de reformes pour que toutes les parties (paysans et conservateurs) y gagnent.

Quelle a été votre réaction face au mutisme des candidats à l’élection présidentielle ivoirienne sur cette  question cruciale du climat ?
J’étais plus que déçu. Mais vous savez Monsieur Momo, les gens ont fait une campagne à l’ivoirienne, voire à l’africaine. Dis à l’Africain, je vais te donner à manger. Il va te suivre sans savoir d’où viendra la nourriture. Ils ont profité de l’analphabétisme et de la pauvreté de la population pour axer les discours sur les questions de l’emploi, de la gratuité des soins, etc., et les gens étaient prêts à mourir pour eux. Dommage.

Les discussions sur le climat s’intensifient, les scientifiques brandissent de plus en plus le drapeau de l’alerte rouge, à quel horizon doit-on craindre le pire pour la Cote d’ivoire ?
Aujourd’hui, tous les modèles climatiques et tests statistiques pointent l’horizon 2050 pour le monde entier mais particulièrement pour l’Afrique dont la Côte d’Ivoire. Il est déjà démontré qu’entre 2050 et 2060, il y aura une sécheresse généralisée en Côte d’Ivoire.

Avez-vous des propositions concrètes qui aideraient à mieux œuvrer contre  les changements climatiques ?
Je dirai juste deux choses :
1-      Préserver le mieux possible nos ressources naturelles
2-      Développer des stratégies d’adaptation aux changements climatiques

Dernière question, êtes-vous optimistes parlant des discussions actuelles sur le climat ?
Franchement non. Dans l’immédiat, les discussions ne vont donner des résultats explosifs ; mais il est très important d’avoir ces discussions. A chaque conférence, on fera un pas vers nos objectifs. Aussi petit qu’il soit, chaque pas est le bien venu et dans un futur relativement lointain (cela dépend de la vision ou des atteintes de chacun), les contraintes environnementales seront appliquées par tous






                                                                                                                   MOMO DIA